Parole libre

Publié le par Fae

J'ai regardé partout autour de moi. Les dessins sur le mur, la table devant nous. Personne ne se cachait. J'ai regardé sous toutes les paupières, derrière tous les sourires. Personne ne s'économisait. Tu pouvais bien passer sur le palier, entendre la voix feutrée et la guitare posée. Tu pouvais bien pousser la porte, tes pas dans le couloir n'auraient effrayé personne. Tu te serais assis juste au milieu, tu aurais écouté la nuit tomber sur nos heures retrouvées. On ne t'aurait pas demandé ton nom, on t'aurait juste parlé des pays qu'on quitte, des êtres qui sont nos pays. Nos atlas humains, la liste de ce que nous sommes sans jongler entre une position et une autre. Tu pouvais bien venir parmi nous, tu aurais été dans l'équilibre. Le chuchotis d'un salon noyé dans des milliards de salons. Et pourtant ce salon, juste là, quand je regarde dans toutes les vitres. Personne ne s'observait. J'ai appelé tous les silences, j'ai même failli m'inquiéter des absents. Personne ne se manquait. Tu pouvais bien passer par là, le hasard et tu pousses la porte, juste pour voir plus qu'une serrure. Ton visage inconnu n'aurait arrêté personne. Tu serais venu juste sur nos accoudoirs, et pendant que tu aurais bu à l'attente rassasiée, on t'aurait parlé des mamans. De celles qui poussent dans les terres fertiles de nos inquiétudes. De celles qui brillent à l'horizon et révèlent la plus belle part de nos racines. On t'aurait parlé de valises, on t'aurait dit – je viens à peine de toucher terre, j'ai survolé longtemps et je voudrais reposer mes chevilles. On t'aurait dit – dans ma valise il y a encore quelques larmes mais ce sont des larmes d'or, je vais les planter dans le Gers, je les arroserai d'écoute et de méditation. On t'aurait parlé de valises, on t'aurait sans doute confié – je ne suis pas quelqu'un qui sait partir, pourtant je pars car il n'y a que dans la marche que je sais cheminer.

 

J'ai regardé dans chaque fond de verre, aucun mot ne traînait. Comme s'il était entendu dès le départ qu'on laisserait place nette. Personne n'était en fuite, on avait tous dans nos traînes bibelots et décors particuliers. L'envie de pincer les heures, la certitude que cette porte poussée, on serait à l'abri. Protégés de nos propres révolutions. Parce qu'il arrive qu'on vive toute une vie en quelques mois, puis vient le temps d'éclore. Tu pouvais bien nous croiser par hasard, tu pouvais sans révérence arriver tout entier. On t'aurait parlé de prénoms, on t'aurait dit – je m'appelle bienvenue, je m'appelle résilience, je m'appelle je ne sais pas encore mais je suis certaine que c'est en route. On ne t'aurait pas demandé ton nom, on aurait attendu que tu le trouves.

On t'aurait peut-être tout dit, en attendant.

Je suis de celles qui se jettent à corps perdu dans un salon. Ma journée était multiple. J'ai rangé derrière un sourire mes envies d'évasion pour accepter un temps de retravailler en surface. Pour mon premier matin après l'envol, j'ai été prise dans une foule de bras et couronnée d'un accueil cicatrisant. Et en fin de journée, quand j'ai fini de dire les mots honnêtes, j'ai senti la vague réfléchir aux déflagrations possibles, je ne m'en suis pas inquiétée.

Je suis de celles qui s’assoient et ressentent. Être là, réunis, perchés sur nos récits. Être las, éblouis, le dos cassé par les nuages, et pourtant droites, on sera simples si on sait être humbles. On sera fortes tant qu'on saura poser les cartes. Et s'il ne reste dans nos vies pas une once de facilité, on décidera que ce qui reste est une autre forme de facilité. Dans ces halos naïfs qui crayonnent nos prières, tu pourras bien attraper au passage deux trois fiertés, quelques excuses, et finalement, l'essentiel d'une amitié.

Le savoir être autre, le vouloir dans l'accueil, et l'aimer d'autant plus.

{LB. Tous droits réservés} - A Boudette, la Cairotte, et Bobo.

 

Publié dans En un mot - mot.

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