Des mots sur les rails, des mots sur les ondes

Publié le par Fae

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Dans la nuit blanche, savoir perpétrer le dialogue. L'apprentissage prend place, occupe un temps qui était dévolu hier à combler l'absence. L’apprentissage se déploie, au bord des balcons et par les ondes nerveuses. Il y aurait mieux, que les mots que nous choisissons. Il pourrait y avoir plus clair, plus sage, mais peut-on vraiment ne faire que viser, peut-on vraiment s'astreindre toujours à la prudence, au risque de ne pas dire du tout ?
Je ne serai jamais du côté du débit, à l'abondance je préfère être pincée, toquée, je préfère la surprise, l'accident. Je rêve de savoir dire ce que mille fois j'ai écrit en pensées. J'imagine le théâtre, celui qui donnerait le temps, j'espère une parole où chaque silence saura poser, délicatement, à tes pieds, les syllabes que je n'ose prononcer. Te laisser libre de les cueillir, ou de les cultiver assez pour être prête à les entendre. Je ne serai jamais du flot, ni des morales. Je me sens condamnée à tenter d'articuler des réalités que toujours, je sais être essentielles et que souvent, je ne peux partager.
Dans la nuit rouge, savoir atteindre le bout de nos échanges. Car ils comptent, ils ne sont pas moins qu'une corde de rappel que nous tissons, malhabiles, dans le dédale de notre histoire. Je n'ai pas choisi de t'écrire, car cela aurait été t'obliger à me rejoindre. Je me suis pliée à l’exercice, celui d'un partage, main aux dames et va-tout. 
Peut-on dire que malgré l'appréhension, quelque chose de l'harmonie ou de la réunion se profile d'un appel à l'autre ? Peut-on croire qu'il reste, dans nos bras chargés de menaces, assez de force pour porter l'avenir ? J'en ai fini des guêtres de messie, j'ai renoncé au bien. J'ai commencé, en silence, à m'incliner devant mes vœux de résilience. Je pose les fondations de nos futures guérisons. Par cette vie, que nous savons comptée sans connaître sa logique, j'essaye de prendre seconde après seconde des images apaisées. Elles me serviront plus tard à refaire le chemin vers celle que tu étais, si grande et si sévère, lorsque je ne me souviendrai plus que j'avais accepté.
Ce matin, un homme m'a demandé : «  est-ce que la vie te traite bien ? ».
Si bien, à vrai dire, que je ne distingue plus si je suis choyée ou amputée. Si étrangement bien, qu'en silence, se confondent ma peur abyssale d'un monde où je n'aurais pas su te transmettre l'amour et mon impatience fautive que ce monde arrive, quoi qu'il puisse en coûter, qu'il émerge une fois pour toutes et que nous puissions tous, enfin, avoir quelque chose à affronter.
Si la vie me traite bien, si le quotidien ambitieux ne m'atteint presque plus, c'est en partie parce que j'ai compris qu'il n'y a d'essentiel que l'envie de, l’espoir de, la force de. Je n'aime pas nos victoires, elles repoussent amèrement le temps d'être ensemble. J'aime notre fulgurante capacité de nous tendre la main. Le geste, quand il est sur le point d'arriver.
C'est peut-être ça que nous nous accordons, au fil des conversations, dans notre astreinte devenue rituel. L'empathie furieuse ne m'a pas quittée, mais je sais peut-être mieux viser l'humilité plutôt que la survie. J'essaye toujours de dire que demain arrivera, car il arrive. J'essaye encore d'appeler demain par son nom. La mort, la défaite, la disparition. Cette hémorragie interminable qui dure depuis dix ans, ce sang partout sur nos paupières d'enfants ou de jeunes adultes. Et les paillettes que je colle une à une sur la vitre du temps, parce que je ne sais rien faire d'autre que tramer, tenter de tramer, ce que nous sommes de beau, debout, sur nos blessures.
Dans la nuit noire, compter les larmes souvent, et applaudir parfois une légèreté, l'éclat de rire qui surgit sans prévenir. Brasser ensemble nos grandes imperfections. Se dire l'une l'autre : ce n'est pas grave, si tu n'y arrives pas. Ce n'est pas mal, cette maladie de la vie. Il peut y avoir une sérénité entre nous, il est encore possible de nous reconnaître, et je te dirai combien tu peux être belle, malgré tes mains tremblantes, je te dirai combien je t'admire, certains jours. Je te dirai que je ne t'obligerai pas à te battre, qu'il reste malgré tout des combats à mener, et qu'au premier rang de nos devoirs il y a celui de tomber les masques.
Dans la nuit bigarrée, te répéter deux phrases qui ont bercé mon enfance. Un post-it, sur le mur des toilettes, entre deux dessins et trois mantras empruntés : « Ose devenir qui tu es »* . Et cette poésie, que beaucoup trouvent déterminante, définitive, mais qui m'a accompagnée ces années comme la promesse d'une lumière foudroyante : «  La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil »** .

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{ Série Mots sur les rails }

 

* MC Tachon.

** René Char

Publié dans En un mot - mot.

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