Champs de batailles & champs de forces

Publié le par Fae

N'être pas meilleure que les autres. Parce que vouloir voir la mer en hiver, ça ne veut pas dire qu'on ne chipotera pas sur l'intensité du jour. Ça ne veut pas dire qu'on ne sera pas las de toutes ces beautés, les bras pleins de merveilles et capables de hurler au ciel que l'injustice est flagrante.

Quand tu t'es retournée, j'ai revu ta nuque. Je ne me souvenais pas des cabanes où je m'allongeais nue, adolescente, en attendant que la maturité vienne. Celle qui est là, maintenant, celle dont je ne sais pas toujours quoi faire.

Quand tu t'es retournée, la lune s'est penchée.

Il était déjà tard. J'avais bu un vin hors de prix. J'avais raté la ronde des anniversaires. Toi tu dormais groggy, sous la couverture d'une jeûn déjà si solitaire. Il y avait toutes ces coquilles sur le sol, ces mots qui traînaient comme des petits cadavres encore palpitants. Entre mon indéfectible capacité à creuser plus profond que la source, et tous les sauts de chat qu'il te faut endurer pour atteindre l'autre rive, il y avait nos restes.

 

Je cultive la nuit un visage en paix.

J'avale toutes les ardeurs que ma petite nature m'empêche de digérer.

Je masse mes tempes sur des mélodies palpables, histoire de m'intégrer encore au vrai monde.

Et je revois cette fille du grand large, me dire l’œil circonflexe : « Il y en a qui ne savent jamais gagner en profondeur. Mais toi, quand je te regarde, je vois une femme qui revient encore et toujours d'un pays en guerre ».

 

Je me souviens et je ne me souviens pas. Tu te retournes, sur le lit bateau en bataille. Tu souffles un peu, les braises sont vivaces. Tu parles confiance. Tu dis qu'hier, il y avait tête haute et belles énergies. Tu dis que depuis le départ, j'en ai jusqu'à la ceinture. Tu dis que j'avais gagné sur ça, quelques années auparavant, que je ne peux pas accepter les handicaps d'hier. Tu parles danger, départ. Tu dis que je suis plus douée pour cultiver le beau que pour combattre les gangrènes. Et quel mépris, et quelle condescendance. Croire qu'on saura faire plus que le matin, croire qu'on pourra changer ce qui est gravé dans la roche.

Quand tu t'es retournée, j'ai revu tes épaules. Je me suis demandé comment, pourquoi, je me suis crue en droit de les perdre de vue. J'ai compris ce que j'avais pris sur les miennes. Un rien de régression. La marée lente, sempiternelle, d'une naïveté en héritage.

Quand tu t'es retournée, j'avais quitté le sol.

Il était bien trop tard. Dans un silence épais, je me suis collée contre toi. Il y avait sur la table toutes mes peurs le ventre ouvert les yeux écarquillés. Il y avait la voix de maman répétant inlassablement : « le monde a besoin de toi, mon ange ».

 

Je comprends bien que je n'ai pas compris. C'était une nuit sans fin. J'avais couru des jours entiers pour rattraper la vie. J'y étais arrivée, et contente de moi, sans doute un peu triste, je m'étais installée dans l'élan naturel. Parfois la vigilance est un luxe qu'on croit pouvoir abandonner, un temps. Je n'ai jamais été capable de lâcher les mains que j'agrippe. A tort ou à raison, je n'ai jamais su dire mes frontières.

Je comprends bien que j'ai laissé la rafale me tremper, comme s'il ne s'agissait que de mes racines.

Je me souviens, je jure, que j'ai signé pour la bataille en pensant que je n'engageais que mon corps.

 

Dans toute cette nuit, je cultive des paupières en cuir d'étoiles.

J'agrafe toutes mes béquilles, je demande pardon aux forces que je n'ai pas mobilisées.

Je sais ce qui est important, je sais ce qui n'a pas de prix.

Je sais que pour cette nuque j'ai quitté des foyers, annulé des noces et fait retarder des avions.

Je te montre cette vidéo, pour la beauté qui peut sourdre derrière les ronces, je m'endors épuisée en murmurant qu'à force de pâlir, on saura bien un jour être claires comme l'eau.

 

 

Publié dans En un mot - mot.

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