Le choix

Publié le par Fae

 

 

Dans tes yeux immenses, le voile d'une déception quand elle dit : « c'est bon, vous pouvez y aller ».

 

C'est bon, vous pouvez avancer. Sans vous tenir la main. Sans promettre à la vie. Sans plisser les yeux pour éviter les jets de riz. C'est bon, vous pouvez passer le porche imaginaire de votre relation. Dehors, sur la place du métro, personne ne saura rien. Plus tard, à l'entrée de l'immeuble, personne ne saura rien. Peut-être pour le reste de votre vie, personne ne saura rien. Mais il y aura eu ces quelques minutes, dans l'anonymat d'une sale de tribunal. Ces minutes opalines, un peu secrètes, qui comptent.

 

En remettant ton manteau, tu dit : « c'est rapide ». Et avant que je puisse te répondre, tu es déjà dehors, en route vers nos amis, la démarche légèrement alourdie par l'incroyable timidité de notre temps. C'est ainsi. Il faut des années, une vie entière, pour arriver ici. Il faut attendre les mois d'été en évitant les mariages forcés, supporter les séparations d'années à l'étranger, de luttes longues contre nos habitudes, il faut souffrir mille autres et subir tant de révolutions en sourdine qu'au bout du compte, les années écoulées, sont les trésors enfouis d'une histoire singulière. S'aimer, je réalise que c'est bien plus que d'arriver ici.

 

J'aurais aimé t'offrir bien plus qu'un ciel d'avril au nord de Paris. J'aurais aimé être capable de réunir les tiens, d'apporter à leurs cœurs le cerclage du respect. J'aurais voulu qu'un claquement de doigts épingle nos dix ans sous la fenêtre d'une famille qui ignore ton bonheur. Que leur présence enfin comble les pauses de ton rire.

J'aurais aimé, c'est vrai, que ton père applaudisse, que la fonctionnaire chargée de notre dossier ne mâchouille pas son stylo et que quelques youyous escortent ta joie jusqu'à l'air libre. Mais justement, mon ange, il y a l'air libre et la très grande sérénité qui règne sur ces jours. Il y a le reflet du chemin parcouru pour cette ordinaire minute, où ton sourire s'estompe, où tu réalises qu'entre maintenant et tout à l'heure, quelque chose a changé. Un frémissement dans l'univers, un imperceptible poinçon au ciel de nos attentes.

 

Dans mes yeux attentifs, la joie paisible d'une certitude quand elle dit : « c'est bon, vous pouvez y aller ».

Je n'ai jamais eu besoin du moindre papier pour savoir que tu es mon ciel et ma terre, mon autre et mon unique. Je ne rêve pas vraiment de sceller notre histoire par contrats et alliances. Chaque jour, m'apporte la liberté de te choisir encore, pour être à mes côtés lorsque la nuit se couchera sur nos secrets. Il n'y a pas de plus grande chance que pouvoir te choisir. Il n'y a pas de signature plus sacrée que ta main dans mon dos lorsque nous sortons du tribunal, pour aller rejoindre nos amis et fêter ensemble cette étape vers toujours.

 

 

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* J'ai pensé, ce matin, à cet autre matin, au bord de l'immense Egypte. J'ai pensé à ce choix, qui a rendu possible tous les autres.

Publié dans En un mot - mot.

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